Derrière l’imposante église Saint-Vincent de Paul, j’arrive rue de Belzunce dans le 10ème arrondissement de Paris où se trouvent les trois restaurants du chef Thierry Breton. J’ai de l’avance et prends le temps d’une petite visite. Inscrite en 1944 aux monuments historiques, c’est l’une des plus grandes églises parisiennes.
Une naissance déterminante
Ce n’est pas à l’hôpital de Rennes que Thierry naît mais dans l’établissement de ses parents, le restaurant des Carmes en 1968. Jusqu’à l’âge de quinze ans, Thierry traverse la rue qui sépare l’école du restaurant de ses parents pour déjeuner et donne un coup de main pour se faire un petit billet.
Le restaurant des Carmes, un routier de ville qui propose une cuisine populaire avec un menu à trois francs cinquante. Pour assurer ce niveau de prix son père fait l’après marché des Lices à Rennes. Une vraie ambiance de bistrot, des clients de tous univers, une effervescence toute la journée dans le restaurant. A chaque table, une bouteille attitrée, le vin au verre n’est pas de mise ! « Je constate le travail que cela représente mais aussi la récompense humaine extraordinaire, ça n’a pas de prix ! ».
Les week-ends, la famille se retrouve dans leur maison de campagne, les vacances d’été à la montagne et sur les skis l’hiver. Ça bossait dur mais les moments en famille sont importants.
En fin de troisième, Thierry prend la décision de devenir cuisinier. La seule condition posée par son père : faire son apprentissage avec d’autres chefs que lui. L’école hôtelière de Dinard refuse son dossier, c’est donc à Paris que cela va se jouer.
Sans filet
A quinze ans et demi, Thierry débarque à Paris en septembre 1984. Proche de ses parents, la séparation est douloureuse.
Thierry commence fort, avec le chef Guy Legay au Ritz. Un rythme soutenu, dix jours de travail puis quatre jours de repos. Pendant ses deux ans d’apprentissage, Thierry passe dans chaque partie : le poisson, l’entremets, la viande avec le saucier et le garde-manger. Avide d’apprendre, il n’en perd pas une miette. Il jette un coup d’œil à la pâtisserie, pourtant chasse gardée du chef pâtissier ! Une ambiance dure, Thierry « ne bouge pas d’une oreille pendant un an ».
Il vit au Style hôtel, dans le 18ème arrondissement. Un hôtel dédié aux cuisiniers. « C’est un aveugle à l’étage qui décrochait le téléphone et allait chercher la personne concernée, un travesti qui faisait les chambres, une faune incroyable », un choc ! Quelques escapades en Bretagne pour retrouver les siens et se ressourcer. Entre temps, Thierry se fait des copains, et qui dit copains dit sorties. Grâce à ses connexions, il quitte le Style hôtel et s’installe dans son appartement dans le quartier du sentier à Paris.
Thierry poursuit son apprentissage en tant que deuxième commis aux épinards au Royal Monceau avec le chef Gabriel Biscay pendant un an. Les trois premiers mois sont dédiés à la préparation d’un concours. Thierry est sacré meilleur apprenti de France en 1986. Quelle belle récompense pour ce jeune homme de dix-huit ans !
Durant ses premières expériences, Thierry veut être « tournant ». Je m’explique. Dans les grandes maisons, ouvertes 7j/7, il prend le parti de remplacer les cuisiniers en repos. Comme il souligne « par la force du travail, on se fait respecter ». Cette capacité d’adaptation lui servira tout au long de son cheminement.
C’est avec le chef Manuel Martinez au Relais Louis XIII que Thierry entre dans une brigade à taille humaine. Manuel Martinez quitte le Relais Louis XIII et occupe la place de chef à la Tour d’Argent, naturellement Thierry lui emboite le pas.
A vingt ans, Thierry a besoin de respirer et de faire la fête. Il passe quelques mois dans un restaurant mexicain situé dans le quartier des Halles à Paris. Son ami, le chef Yves Camdeborde passe par là et lui propose un nouveau challenge. Le temps des nachos et tacos a suffisamment duré, il est temps de revenir aux choses sérieuses ! En 1989, Thierry prend place auprès du chef Christian Constant au Crillon comme chef de partie pendant un an.
Le service militaire pointe son nez et devinez où le meilleur apprenti de France doit le faire ? Au Palais de l’Elysée, c’est la tradition. Son vœu était d’aller sur le porte avion Jeanne d’Arc pour faire le tour du monde. Un vœu qui ne verra pas le jour ! C’est donc dans les cuisines de l’Elysée, sous le président François Mitterrand, que Thierry rejoint le chef Joël Normand. « Une expérience extraordinaire, une autre façon de faire la cuisine ». Un service à la française, des tables au cordeau, une cuisine française traditionnelle, sans parler de la vaisselle. Des échanges riches qui renforcent ses acquis.
Thierry ne s’arrête pas en si bon chemin. Une fois terminé son service militaire, il retrouve Gabriel Biscay chef du restaurant chez Lapérouse. A vingt et un ans, Thierry occupe cette fois le poste de sous-chef pendant trois ans.
A vingt-quatre ans, le projet d’avoir son bistrot le titille. Avant de se lancer, Thierry assiste le chef Guy Krenzer au Fouquet’s. Apprendre à jongler entre le restaurant gastronomique et la brasserie, une étape qui lui apporte une nouvelle réflexion sur de la cuisine. « Une cadence infernale six cents couverts par jour, la gestion de cent vingt personnes, un paquebot » !
L’auberge Dab marque la fin d’un cycle. Dès son arrivée, Thierry annonce à Gérard Joulie qu’il cherche une affaire. Une transparence qui jouera en sa faveur. La vie fait bien les choses. Le propriétaire des murs de son futur restaurant est un proche de Gérard Joulie. Encensé, l’affaire est pour Thierry.
Une affaire magique
Dans les années 90, le 10ème arrondissement n’est pas vraiment « the place to be ». Un quartier compliqué mais Thierry a du nez. Son intérêt pour le restaurant Chez Michel n’est pas sans raison. Crée en 1939 par Michel Malapris (1910 – 2006), président de l’Académie Culinaire de France de 1978 à 1996. Table étoilée, Chez Michel est une institution. Michel Malapris, un chef engagé tant dans sa cuisine que dans la résistance, un symbole fort pour Thierry. Fermé depuis 1992, Chez Michel renait en 1995.
Thierry démarre très fort avec son équipe de quatre personnes. Il travaille des produits hors pair, se déleste des techniques des grandes maisons pour proposer une cuisine et un service à son image. Ses origines bretonnes s’épanouissent au travers de trois plats mythiques : la terrine d’andouille avec une galette de blé noir, le kig ha farz et le Paris-Brest. Chez Michel c’est aussi la table de Paris avec la plus grosse carte de gibiers, jusqu’à vingt-deux plats !
Sortir de la cuisine pour aller à la rencontre des clients, ce qu’il n’avait jamais fait dans les grandes maisons, c’est extraordinaire ! A vingt-cinq ans, Thierry emporte un succès fou. Après trois années d’un travail acharné, une nouvelle opportunité à quelques pas de Chez Michel s’offre à lui. Un enjeu important pour Thierry. L’affaire se fait. Crée dans les années 60, Chez Casimir, se refait une beauté et ouvre ses portes en 1998. Un esprit bistrot, une carte plus courte avec toujours le souci du produit. Et devinez quoi, c’est un carton ! « A vingt-huit ans, on n’a pas peur du travail ! ».
Thierry ne débaptise pas ses deux premiers restaurants en hommage à ses fondateurs afin de conserver une histoire et des valeurs qui lui tiennent à cœur.
Jamais deux sans trois. Après trente-trois ans de cuisine, Thierry a d’autres envies. En 2013, il lance dans un ancien atelier, La Pointe du Grouin, un bar à hors d’œuvres. La création d’un nouveau concept pour répondre à une nouvelle demande. Des tables hautes, une cuisine ouverte, pas de service, pas d’euros mais des grouins, du partage, de la bonne humeur, cent trente références de magnum et toujours le produit ! Une expérience.
De l’eau, de la farine et du sel
La rencontre entre Thierry et le pain se produit au printemps 2010. D’avril à septembre est une période où les produits qu’il affectionne et demande un travail conséquent, le gibier en l’occurrence, sont aux abonnés absents. Pour pallier à cette baisse d’activité en cuisine, Thierry veut comprendre les dessous d’un pain de qualité. Avec quelques employés, il s’adonne à la confection du pain. Grâce à ses notions de pâte levée et de pâte poussée, Thierry comprend que la fermentation est l’un des facteurs clés. Malgré un travail assidu, le résultat n’est pas toujours au rendez-vous. La recette n’est jamais la même, tout dépend de l’humidité et la température ambiante. D’ailleurs, saviez-vous pourquoi avant l’arrivée du thermomètre, les boulangers portaient short et marcel ? Pour que leur peau soit en contact avec ces deux indicateurs afin d’ajuster la recette. Revenons au pain de Thierry.
C’est une rencontre avec des artisans boulangers de renom lors d’un dîner qui va tout changer. Ils livrent à Thierry leur savoir. Le cœur du sujet repose sur trois éléments : l’élasticité de la pâte, les températures adéquates et le rabat.
Maintenant que la fabrication du pain est sous contrôle, reste l’achat d’un four, d’un pétrin et trouver la personne qui va se charger de la fabrication. L’élu est Sangarré Bakary, un plongeur, qui s’est révélé en suivant toutes les étapes de fabrication. Maintenant chef boulanger, Sangarré Bakary est secondé par quatre personnes, s’il vous plaît ! L’aventure de ne s’arrête pas là. Une réputation qui fait le tour de Paris. Livré à vélo, le pain trône sur cent trente tables parisiennes.
Ce qui se dit en cuisine « pendant l’apprentissage on ne gagne pas sa vie mais on a de l’or dans les mains reste ensuite à le valoriser », ça c’est fait. Se construire, se révéler et être reconnu, voilà ce qui caractérise le parcours de Thierry. La suite, après plus de trente-trois ans d’activité, trois restaurants et trente employés, le temps est à la transmission.
Adresse du Clan
Chez Michel
10, rue de Belzunce
75010 Paris
Tél : 01 85 15 25 86
www.restaurantchezmichel.fr
Chez Casimir
6, rue de Belzunce
75010 Paris
Tél : 01 48 78 28 80
La Pointe du Grouin
8, rue de Belzunce
75010 Paris
www.lapointedugrouin.com
Producteurs du Clan
Prochainement
Très bon article sur Thierry Breton. Le Clan s’améliore fortement.